Le 6 novembre, trois juges d’instruction français ont inculpé l’ancien chef de guerre congolais Roger Lumbala Tshitenga pour sa complicité présumée et son complot en vue de commettre des crimes contre l’humanité, notamment le meurtre, la torture, le viol, le pillage et l’esclavage, y compris l’esclavage sexuel, en République démocratique du Congo (RDC) entre 2002 et 2003. Cet acte d’accusation constitue une étape historique vers la justice pour les survivants des atrocités de masse en RDC, ont déclaré la Fondation Clooney pour la Justice (CFJ), TRIAL International (TRIAL), le Minority Rights Group (MRG) et Justice Plus.
Cette décision ouvre la voie au procès de Lumbala devant le tribunal correctionnel français pour complicité et association de malfaiteurs en vue de commettre des crimes contre l’humanité.
Roger Lumbala a été arrêté à Paris en janvier 2021. Le groupe armé de Lumbala, le Rassemblement congolais pour la démocratie nationale (RCD-N), et ses alliés auraient commis ces atrocités lors d’une opération militaire appelée « Effacer le Conseil » dans les provinces du Nord-Kivu et Ituri.
L’objectif de l’opération était de prendre le contrôle de zones riches en ressources dans l’est du pays. Lumbala aurait ordonné certains des crimes et aidé et encouragé les troupes du RCD-N en fournissant des fournitures et en laissant les soldats sous son autorité attaquer violemment la population civile. Lumbala fut ensuite ministre du Commerce du pays entre 2003 et 2005, peut-on lire dans la déclaration.
Ces dernières années, les tribunaux congolais ont fait d’importants progrès dans les enquêtes et les poursuites pour les crimes graves commis en RDC au cours de la dernière décennie, mais l’impunité totale demeure pour les crimes commis avant 2003.
De plus, alors que la Seconde Guerre du Congo (1998-2003) a coûté la vie à plus d’un million de personnes, la RDC n’a pris aucune mesure concrète et sérieuse pour enquêter sur ses atrocités et demander des comptes aux responsables. Mais cet acte d’accusation signifie qu’il existe suffisamment de preuves pour juger Roger Lumbala pour complicité de crimes contre l’humanité et complot en vue de commettre des crimes contre l’humanité. Le procès se tiendra à Paris, probablement en 2025.
« Ce procès représenterait une opportunité sans précédent pour les victimes congolaises, les survivants et leurs communautés. Ce sera la toute première affaire devant un tribunal national statuant sur les atrocités de masse commises en RDC au cours de ces années. Cela montre qu’il n’y a nulle part où se cacher pour les auteurs de telles atrocités. », a déclaré Daniele Perissi, responsable du programme Grands Lacs de TRIAL.
Aujourd’hui, la situation sécuritaire dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri est alarmante puisque le gouvernement congolais a déclaré l’État de siège pour lutter contre les multiples groupes armés occupant certaines parties des provinces. Ce confinement militaire signifie que les familles des victimes et des survivants des atrocités commises par le RCD-N – en particulier les minorités et les peuples autochtones, ainsi que les survivants de violences sexuelles et basées sur le genre ont été confrontées à d’énormes obstacles et à un grave danger.
![Vice-president of the delegation of M23 rebels, Roger Lumbala attends a press briefing in Ugandas capital Kampala on January 8, 2013. A delegation of rebels was in Kampala for talks with the Congolese government aimed at ending a crisis that has led to widespread rights abuses and displacement and sparked fears of an all-out regional conflict. The M23, former rebels who were integrated into the Democratic Republic of Congo's regular forces in 2009 and mutinied again this year, pulled out of the main eastern city of Goma last week when the government agreed to discuss some of their demands.](https://kivumorningpost.cd/wp-content/uploads/2023/11/Roger-LUMBALA-ff-jpg.webp)
« Le courage remarquable dont ont fait preuve les survivants et leur engagement inébranlable à demander justice ont été la force motrice pour traduire en justice ce tristement célèbre chef de milice. Les preuves fournies par les survivants, y compris leurs témoignages devant le juge d’instruction, ont joué un rôle central pour faire avancer l’enquête, qui a finalement abouti à l’acte d’accusation.», a déclaré Yasmine Chubin, directrice du plaidoyer juridique à l’initiative The Docket du CFJ
Plus de 20 survivants ont fait le voyage en France pour témoigner lors de la phase d’enquête et ont été admis à participer formellement au prochain procès en tant que parties civiles. CFJ, TRIAL, MRG et l’ONG Justice Plus basée en RDC, également toutes reconnues parties civiles, ont collaboré tout au long de l’enquête pour identifier et soutenir les communautés congolaises, les victimes et les survivants qui réclament justice et réparations pour les crimes qu’ils ont subis. Et disposés à partager leur récit avec les autorités judiciaires françaises.
Traduire Lumbala en justice en France est possible grâce au principe de compétence universelle, qui permet aux pays de poursuivre les crimes les plus graves quel que soit le lieu où ils ont été commis et la nationalité de l’auteur ou des victimes. En France, la compétence universelle peut s’appliquer aux suspects résidents et présents sur le territoire, même s’ils sont de nationalité étrangère.
Lumbala réside depuis longtemps en France, où il a également demandé l’asile. La résidence de Lumbala en France est ce qui a donné à la justice française des raisons d’enquêter sur les crimes commis en RDC.
Il s’agit du premier procès relevant de la compétence universelle pour des atrocités de masse commises en RDC par un ressortissant congolais et l’une des rares affaires en cours dans le monde contre un responsable congolais ayant un rang aussi élevé que celui de ministre.
« C’est un moment fort pour le peuple autochtone Bambuti qui a subi des atrocités aux mains du RCD-N ; leurs voix seront enfin entendues sur la scène internationale. Cette décision envoie un message clair : le pouvoir et le statut ne peuvent pas protéger les coupables de la justice, peu importe le temps écoulé.», a déclaré Samuel Ade Ndasi, responsable des litiges et du plaidoyer de MRG.
« Le procès de Lumbala en France représente la première lueur d’espoir pour les victimes congolaises de la Seconde Guerre du Congo qui attendent justice depuis plus de deux décennies », a déclaré Xavier Macky, directeur de Justice Plus. « Cela envoie un signal fort aux auteurs de ces crimes et, nous l’espérons, soutiendra la mise en œuvre par le gouvernement congolais de sa stratégie de justice transitionnelle face aux crimes passés afin d’apporter la vérité, la justice et des réparations à sa population. »
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